BLOG : Le cafouillage de l’autoroute 13

Par William Plante-Bischoff

L’action collective prend parfois des formes originales. Souvent utilisée par des consommateurs s’estimant lésés par des pratiques commerciales de grandes entreprises, les citoyens peuvent eux aussi s’en servir afin d’être indemnisés des suites d’une action ou d’un manquement de l’État. C’est ce qu’a fait un automobiliste bloqué pendant plusieurs heures sur une autoroute de Montréal en pleine tempête de neige.

Le 14 mars 2017, cette tempête entraîne une congestion majeure sur l’autoroute 13 Sud et sur l’autoroute 520 Est, en plein cœur de l’île de Montréal. La circulation est complètement bloquée sur certains tronçons à partir de 20h40. Alors que la tempête fais toujours rage, les citoyens demeurent pris dans leur véhicule au moins jusqu’à 2h30, sans que les autorités publiques n’interviennent pour dégager la voie. Certains d’entre eux devront même patienter jusqu’à 6h30 du matin avant de pouvoir regagner leur demeure. Ce n’est qu’à partir de 4h30 que le Service d’incendie de la Ville de Montréal prend l’initiative de dépêcher des véhicules de secours sur les lieux. Des services essentiels sont fournis aux citoyens concernés aux alentours de 5h00.

Le demandeur reproche aux autorités d’avoir manqué à leurs obligations légales lors de ce cafouillage et allègue que ces dernières ont commis une faute extracontractuelle pour avoir tardé à réagir [1]. Il soutient également que les défendeurs ont violé le droit à la sécurité et la sureté des membres, protégés par la Charte québécoise des droits et libertés [2]. Il réclame de ce fait des dommages-intérêts de 2000$ par membre et des dommages punitifs de 500$ par membre en compensation du préjudice moral subi par ceux-ci.

Le 14 novembre 2017, l’Honorable Donald Bisson autorise l’action collective pour le compte de « toutes les personnes qui ont été immobilisées dans un véhicule sur l’Autoroute 13 Sud ou sur l’Autoroute 520 Est à Montréal au cours de la période s’étendant du 14 mars 2017 à 19h00 au 15 mars 2017 à midi [3]. » Les défendeurs et la Société d’assurance automobile du Québec (SAAQ), mise en cause, soutenaient de leur côté qu’il n’y avait aucune apparence de droit et que l’action ne devrait pas être autorisée. En effet, ils ont plaidé que le préjudice des membres a été causé à l’occasion d’un accident d’automobile au sens de la Loi sur l’assurance automobile [4] (LAA), en raison de l’utilisation d’une automobile par les membres. En conséquence, ont-ils soutenu, le régime de responsabilité sans faute de la LAA devrait s’appliquer, de sorte que la SAAQ serait la seule compétente pour indemniser les membres, à l’exclusion des tribunaux civils.

Le juge Bisson a rejeté cet argument. Si ce moyen de défense pourra être invoqué au mérite, il ne suffit pas pour conclure que la demande d’autorisation est, à sa face même, « frivole, manifestement vouée à l’échec » ou encore que les allégations de fait sont insuffisantes ou qu’il soit « incontestable » que le moyen de droit soit mal fondé [5]. Dans l’hypothèse d’un procès sur le fond, le Tribunal devra déterminer si le préjudice subi par les membres relève davantage de l’écoulement du temps et des conditions climatiques que de l’utilisation d’une automobile [6]. En bref, ce sont des arguments qui relèvent non pas de l’autorisation de l’action collective, mais de l’audition au mérite.

Même si le litige est loin d’être gagné d’avance pour les membres, il s’agit d’un cas où le véhicule de l’action collective leur convient à merveille. En effet, les membres sont nombreux et ils ont tous été pris dans une situation semblable. De plus, le quantum peu élevé des dommages individuellement subi par chacun d’entre eux aurait difficilement justifié des actions individuelles devant les tribunaux. Enfin, l’administration publique possède de moyens financiers importants, qui lui assurent une défense solide en cas de poursuite. En l’absence d’un processus d’indemnisation volontairement mis en place par le Gouvernement du Québec et la Ville de Montréal à la suite de cet incident, l’action collective constitue une excellente alternative pour assurer l’accès à la justice et la compensation des citoyens.

[1] Beauchamp c Procureure générale du Québec, 2017 QCCS 5184 (Demande modifiée pour autorisation d’exercer une action collective et pour être désigné représentant au para 28).

[2] Id, para 29.

[3] Beauchamp c Procureure générale du Québec, 2017 QCCS 5184, para 140 [Beauchamp].

[4] RLRQ, c. A-25.

[5] Beauchamp, para 62.

[6] Id, para 61.

Ce contenu a été mis à jour le 23 mars 2018 à 14 h 46 min.

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