Commentaire : Revue de la conférence "Le processus d’autorisation des actions collectives est-il utile?"

Par Veronica Aimar

Veronica Aimar, étudiante membre du Laboratoire sur les actions collectives, a assisté le 15 février dernier à une conférence organisée par la section Actions collectives de l’Association du Barreau Canadien.

Voici sa revue de la conférence :

La section Actions collectives de l’Association du Barreau Canadien a tenu sa première conférence de l’année le 15 février dernier. Bien évidemment, elle ne pouvait porter sur un sujet autre que l’obiter dictum dans Charles c. Boiron Canada inc., ou ce que Me André Rochon, l’un des conférenciers, qualifia de « cri de cœur » de l’honorable juge Bich. Le panel était complété par Me Pierre J. Dalphond, Me Jacques Larochelle, ainsi que Me Sylvie Rodrigue. Il s’agissait donc d’une occasion pour les juristes de discuter de l’utilité du processus d’autorisation actuellement en place et d’envisager des changements.

Me Rochon a fait un survol du commentaire de la juge Bich, remarquant que son opinion fut partagée par d’autres membres de la magistrature dans des jugements subséquents. Le nœud du problème serait le déséquilibre entre le seuil peu élevé exigé pour satisfaire aux critères énoncés à l’article 575 C.p.c. et les ressources judiciaires consommées par une demande d’autorisation. Puisque les critères de l’article 575 C.p.c. sont peu exigeants, le résultat d’une demande d’autorisation est souvent prévisible et prive alors l'autorisation de son utilité même.

Offrant un regard du point de vue du droit comparé, Me Pierre J. Dalphond a présenté les grandes lignes relatives à l’action collective en Australie, qui ne comprend pas d’équivalent au processus d’autorisation préalable. Il est à noter que le législateur australien a su s’inspirer du modèle québécois dans les années 80. En constatant les difficultés reliées à l’autorisation au Québec et aux États-Unis, il a préféré laisser cette étape procédurale de côté. L’une des distinctions pertinentes avec le système québécois est la discrétion accordée aux juges de refuser une demande d’action collective, et ce, même lorsque tous les critères pour exercer ce recours sont satisfaits. Cela permet de rejeter les demandes frivoles et disproportionnées. De plus, le caractère du représentant n’est pas évalué par le tribunal. Les australiens soutiennent que le rejet d’une action collective par ce motif équivaudrait à un déni de justice, attendu qu’il y aura rarement des poursuites individuelles conséquentes. Ces distinctions nourrissent la réflexion quant à l’utilité de l’autorisation au Québec. Cependant, le modèle australien ne semble pas fonctionner à merveille. Dans les faits, les délais et les coûts des procédures des actions collectives en Australie ne diffèrent pas significativement de ceux dans les pays avec le système d’autorisation. Certains soutiennent que l’absence de cette étape préalable donne lieu à des demandes incidentes qui rallongent l’instance de façon importante. Plusieurs acteurs locaux demandent ainsi une réforme incluant l'autorisation préalable.

Afin de trouver des solutions à l’interne, Me Larochelle a soutenu l’idée de l’abolition du processus d’autorisation. Il a souligné que l’assouplissement des critères énoncés à l’article 575 C.p.c. est tel qu’on exige un strict minimum. Il a également soulevé la contradiction entre les articles 574 et 575(2°) C.p.c., le premier permettant au juge d’accepter une preuve qu’il jugerait appropriée, tandis que le deuxième exige que les faits soient tenus pour avérés. La présentation d’une preuve jugée appropriée serait donc un exercice inutile, considérant que le juge devra quand même tenir les faits pour avérés et laisser la question sur le fond à être tranchée par le juge du procès. Me Larochelle propose ainsi d’abolir le processus d’autorisation et de mettre en place une conférence de gestion automatique suite au dépôt d’une action collective, qui aurait pour objectif d’évaluer les critères d’autorisation plus efficacement. Les questions relatives à l’existence d’une question connexe et la composition du groupe pourraient être tranchées lors de cette conférence. En ce qui concerne la qualité du représentant, elle pourra être évaluée par le tribunal de manière indépendante, l’intervention du défendeur n’étant pas nécessaire puisqu’il n’a pas d’intérêt dans l’identité du représentant. Pour ce qui est du critère à 575(2°) C.p.c., il ne serait plus nécessaire. Le défendeur pourrait faire valoir le moyen d’irrecevabilité de l’article 166 C.p.c. En absence de contestation, le juge pourrait rendre une ordonnance concernant la question commune, la composition du groupe et l’avis aux membres, et le tour serait joué.

Me Rodrigue, pour sa part, a soulevé le renforcement de l’interprétation des critères d’autorisation comme réponse au questionnement soulevé par la juge Bich. Elle soutient que l’assouplissement des critères est à la base même du problème d’accès à la justice. Lorsque, par exemple, la question commune n’est pas bien encadrée, elle ne permet pas de faire avancer le litige convenablement. De plus, puisqu’il est maintenant accepté que la compensation pour chacun des membres puisse être différente, le procès est significativement rallongé ayant à évaluer des réclamations individuellement. Me Rodrigue s’inquiète quant à l’épuisement des ressources judiciaires dans un futur proche, lorsque toutes les actions collectives autorisées grâce aux critères assouplis auront à être tranchées devant un tribunal. Les conséquences économiques d’une action collective pour le défendeur étant généralement importantes, il ne serait pas question d’abolir l’étape de l’autorisation. Me Rodrigue soutient qu’une telle élimination pourrait mettre en péril le droit à une défense pleine et entière. Il faudrait alors rehausser l’interprétation des critères actuels pour donner au processus d’autorisation son utilité véritable.

Après étude de la question, il semblerait que la réponse au problème présenté par la juge Bich ne fait pas consensus. Cependant, une chose est claire. Le système en place présente des problèmes importants tant pour les demandeurs que pour les défendeurs et compromet significativement l’accès à la justice. Il mérite ainsi d’être réévalué.

Ce contenu a été mis à jour le 27 février 2017 à 20 h 51 min.

Commentaires

Laisser un commentaire