BLOG / L’affaire Volkswagen : Une révolution pour les actions collectives en droit de l’environnement?

By : Alexandre Csuzdi Vallée

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L’affaire Volkswagen ne nécessite plus de présentation. Le constructeur automobile allemand s’est fait pincer après avoir équipé certaines de ses voitures d’un dispositif permettant de fausser les statistiques d’émissions polluantes. Comme on pouvait le présager, des actions collectives ont été lancées à Montréal au nom des propriétaires et des locataires de voitures Volkswagen.

Or, et c’est la nouveauté, une demande en autorisation d’exercer une action collective a aussi été déposée dans la ville de Québec au nom de tous les Québécois. Selon le demandeur, les torts de Volkswagen dépassent le simple cadre contractuel. Il réclame des dommages compensatoires de 15$ et des dommages punitifs de 35$ pour chaque Québécois en raison du non-respect des normes environnementales. Le jugement sur l’autorisation à la Cour supérieure a été rendu le 24 janvier 2018[1].

La question principale en litige a trait au critère d’apparence de droit, nécessaire pour accorder une autorisation d’exercer une action collective en vertu de l’art. 575 (2) du Code de procédure civile[2]. D’abord, peut-on vraiment prétendre que tous les Québécois ont subi un préjudice donnant ouverture à des dommages compensatoires? À cette question, le juge Daniel Dumais de la Cour supérieure répond par la négative. La possibilité que des citoyens aient subi des dommages à cause de Volkswagen reste très hypothétique. Sans préjudice identifiable, le critère d’apparence de droit n’est pas rempli.

Ensuite, peut-on autoriser l’action collective sur la base de dommages punitifs uniquement? Rappelons ici les articles 46.1 et 49 de la Charte des droits et libertés de la personne[3] :

« Article 46.1 : Toute personne a droit, dans la mesure et suivant les normes prévues par la loi, de vivre dans un environnement sain et respectueux de la biodiversité.

Article 49 : Une atteinte illicite à un droit ou à une liberté reconnu par la présente Charte confère à la victime le droit d’obtenir la cessation de cette atteinte et la réparation du préjudice moral ou matériel qui en résulte.

En cas d’atteinte illicite et intentionnelle, le tribunal peut en outre condamner son auteur à des dommages-intérêts punitifs. »

Pour les dommages punitifs, aucune preuve de préjudice n’est nécessaire. Leur autonomie a également été reconnue dans à plusieurs reprises par la Cour, notamment par la Cour suprême dans De Montigny c. Brossard (succession de)[4]. Le juge Dumais conclus que le critère d’apparence de droit est rempli en l’espèce pour les dommages punitifs uniquement :

« La réponse n’est pas claire, dans l’esprit du Tribunal, à savoir si l’action collective, limitée à des dommages-punitifs, est fondée. Mais nous n’en sommes pas à disposer du mérite. Cela viendra plus tard après une audition complète. À ce stade-ci, cette prétention est défendable, eu égard aux autorités ci-haut citées. Le seuil minimal est franchi. »[5]

Est-ce le début d’une nouvelle époque pour les actions collectives en droit de l’environnement? Si la Cour donne raison à la demanderesse sur le fond dans un dossier comme celui-ci, on est en droit de s’attendre à une multiplication des recours. Tout acte polluant illicite et intentionnel, même s’il ne cause aucun préjudice à qui que ce soit, pourrait faire l’objet d’une action collective. Cette logique ne serait sans doute pas confinée aux causes environnementales. Des violations illicites et intentionnelles de d’autres droits prévus à la Charte, notamment les droits économiques et sociaux, pourraient faire l’objet de dommages punitifs même en l’absence d’un préjudice identifiable.

On peut aussi se demander si l’action collective est le forum approprié pour un dossier comme celui-ci. Le maintien de la protection de l’environnement est un rôle qui, traditionnellement, appartient à l’État. Ouvrir la porte à de telles actions collectives correspond-t-il à déplacer ce fardeau dans les mains des citoyens et des avocats du groupe?

Il faut espérer que ce dossier se rende à l’étape du jugement sur le fond, sans faire l’objet d’une transaction, pour que la Cour puisse répondre de façon définitive aux interrogations causées par ce cas unique. Notons qu’une demande de permission d’appeler du jugement du 24 janvier 2018 a été déposée le 23 février 2018.

[1] Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique c. Volkswagen Group Canada Inc., 2018 QCCS 174.

[2] RLRQ, c. C-25.01.

[3] RLRQ, c. C-12.

[4] 2010 CSC 51.

[5] Association québécoise de lutte contre la pollution atmosphérique c. Volkswagen Group Canada Inc., préc., note 1, par. 65

This content has been updated on March 13, 2018 at 10:20 pm.

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