Le recours collectif comme moyen compensateur pour les victimes du tabac

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Le recours collectif : bête d’actualité, monstre procédural vivant au pays de Cocagne. Deux grands thèmes ont dominent lors de discussions sur l’opportunité et la justification de la procédure de recours collectif: l’accès à la justice et la compensation collective efficace et équitable des membres. Dans un autre ordre, on espère aussi que ce monstre procédural serve à dissuader les compagnies d’avoir des comportements problématiques. Ces objectifs sont-ils atteints? Annuellement, les tribunaux québécois voient plus d’une cinquantaine de dossiers de recours collectif ouverts, dont plusieurs à portée nationale et même internationale. Ces dossiers aboutiront à un jugement sur le fond ou, pour la majorité, se régleront par une entente à l’amiable. Surtout, ils généreront plusieurs millions sinon milliards de dollars d’indemnisation et de frais d’avocats annuellement.
Reflets du fonctionnement de la société, ces recours collectifs cherchent souvent à répondre à des problèmes sociétaux. Ils remplacent l’action étatique, dans ses fonctions de régulation et de sanction des comportements problématiques. Pensons à la tragédie de Lac-Mégantic de l’été 2013, qui a détruit une ville, certes, mais aussi, l’imaginaire québécois. À celle du la tempête du verglas de 1998, des abus sexuels par des congrégations religieuses, des inondations du Richelieu. Toutes des tragédies qui ont donné lieu à un recours collectif et qui visaient à faire compenser des membres victimes d’un groupe défini. Dans certains cas, la compensation est évidente, concluante, satisfaisante. Dans d’autres, on reste sur notre faim, alors que peu de membres se manifestent pour réclamer une compensation, peut-être parce que la façon de réclamer est complexifié à l’extrême – souvent par l’œuvre des compagnies défenderesses et parce que le montant à réclamer est trop minime.
Par le recours collectif, des sommes considérables peuvent être attribuées aux membres du groupe. Des statistiques informelles suggèrent néanmoins que la mesure de participation des membres au recouvrement reste très faible, généralement en-deçà de 10%. Ce constat interpelle autant qu’il intrigue. Pourquoi une telle inertie de la part des membres? Comment justifier ce taux surprenant qui remet en question l’objectif de compensation des membres? Même en présumant que quelques-uns des bénéficiaires de ces initiatives soient effectivement compensés, comment savoir si ces mesures compensatrices sont effectives et contribuent à légitimer cette procédure collective?
Le 27 mai dernier, les victimes québécoises du tabac ont obtenu une victoire extraordinaire, historique, écrasante, alors que le juge Brian Riordan condamnait les plus grands cigarettiers à payer plus de quinze milliards de dollars en dommages moraux et punitifs aux fumeurs et ex-fumeurs malades québécois (avec les intérêts et l’indemnité additionnelle). Il s’agit de dommages répartis solidairement entre les trois cigarettiers, avec une part importante de 67% de la responsabilité réservée à Imperial Tobacco. De plus, le jugement est rendu exécutoire nonobstant appel, compte tenu de l’importance du dossier.
L’objectif principal du juge, dans sa décision, est incontestablement de compenser les victimes, sans toutefois mettre les compagnies en faillite. Par son jugement solide et appuyé, le juge louange le témoignage d’un expert épidémiologique présenté en demande et dénonce sans hésitation les comportements hautement répréhensibles sinon illégaux des cigarettiers, les condamnant sans équivoque. Il exerce une discrétion d’ordonner, de plus, un dépôt initial de un milliard de dollars qui doit être partagé entre les défenderesses selon leur pourcentage de responsabilité. Quant aux dommages punitifs, il augmente les montants pour lesquels deux des défenderesses sont tenues, à cause de leur comportement particulièrement inacceptable.
Nul doute, il s’agit d’un jugement extraordinaire qui permettra la compensation de près de cent mille québécois fumeurs ou ex-fumeurs (groupe Blais) et de près d’un million de membres (groupe Létourneau), dans un processus de recouvrement qui débutera suite à l’envoi des avis aux membres.
Le recours collectif – que l’on doit appeler maintenant action collective selon le Nouveau Code de procédure civile – a le vent dans les voiles. Plus que jamais, avec le jugement du tabac, il apparaît comme un moyen idéal d’assurer l’accès à la justice et la compensation des membres, tout en servant assurément la dissuasion des comportements problématiques.

Ce contenu a été mis à jour le 15 octobre 2015 à 11 h 35 min.